Le ventre de l’atlantique ici représente Niodor, un village situé sur une île sénégalaise face à la pointe de Sangomar. Dans ce roman, Fatou Diome, raconte l’histoire de Salie, une jeune femme originaire de l’île et vivant en France, ainsi que celle de son petit frère Madické, un grand passionné de football. Celui-ci est de plus en plus tourmenté par l’idée de quitter non seulement l’île, mais aussi le Sénégal, attiré par l’image d’une gloire et d’une richesse que la France semble lui promettre. Leur relation illustre la tension douloureuse entre les membres d’une même famille séparés par l’exil : ceux qui sont partis et ceux qui sont restés.
J’ai su, après avoir lu le livre, que Niodor est le village natal de Fatou Diome, et je me suis dit que ça expliquait tout, finalement. Sans cela, il aurait été difficile de capturer avec autant de précision l’essence de la société niodioroise. Elle en montre les valeurs positives, comme la teranga, cette fameuse hospitalité sénégalaise, mais aussi ses maux, notamment le sexisme. On perçoit clairement le quotidien des insulaires et leur rapport aux saisons, à l’océan, à la pêche. J’ai cru y être, et je garde avec moi un petit bout de ce village que je ne pense pas voir de mes yeux dans cette vie. Et c’est aussi ça, la beauté de la littérature.
Une surprise, mais une très bonne, a été de découvrir que le livre traite autant d’émigration que d’immigration. On parle très souvent des conséquences négatives de l’immigration, sans en creuser les causes profondes. Qu’est-ce qui pousserait quelqu’un à quitter tout ce qu’il connaît, pour une si grande aventure, en ignorant tout de ce qui l’attend ?
D’abord, les récits glorieux de ceux qui ont trouvé fortune et richesse en occident. Dans le livre, l’homme de Barbès en est l’exemple parfait : premier ambassadeur de la nation française à Niodior, il racontait à qui voulait bien l’entendre les bienfaits de la France. Cela dit, jamais ses récits torrentiels ne laissaient émerger l’existence minable qu’il avait menée en France. Ensuite, la télévision et les médias occidentaux, auxquels les enfants sont exposés dès le plus jeune âge, viennent renforcer ces récits. Ça m’a fait penser à moi, à 10 ans, à Mbalmayo, une petite ville du centre du Cameroun, qui récitait toutes les publicités de TF1 et ne regardait que des dessins animés français. Et enfin, la raison la plus brutale, la plus concrète : la pauvreté et les conditions de vie difficiles sur place. Malgré leur jeune âge, beaucoup sont à la tête de familles nombreuses, et on attend d’eux ce que leurs pères n’ont pas réussi : sortir les leurs de la pauvreté. Ils sont donc poussés par cette lourde responsabilité de changer le destin de toute leur famille et de toute leur communauté.
Toutes ces raisons font apparaître l’émigration comme la solution à tous leurs problèmes. Une solution pour laquelle beaucoup sont prêts à risquer leur vie.
En 2023, plus de 8 500 personnes ont péri le long des routes migratoires à travers le monde, et ce chiffre est une sous-estimation, compte tenu de la difficulté à collecter ces données.
Pour ceux qui réussissent à atteindre l’eldorado, par des voies légales ou non, la désillusion reste la même. À travers Moussa, l’homme de Barbès et Salie, l’autrice nous montre les difficultés auxquelles sont confrontés de nombreux migrants africains en Europe, bien loin des récits glorieux à la Francis Ngannou. Elle décrit la difficulté de trouver sa place dans une société hostile, entre racisme, froid, précarité, complexité administrative et solitude.
Le livre nous donne aussi un aperçu de la place des femmes et de l’état de leurs droits à Niodor. On vit la polygamie et toutes ses vicissitudes à travers l’histoire d’El Hadji, Samane et Gnarelle. La centralisation de la maternité dans la vie des femmes africaines, représentant, dès leur naissance, le seul moyen de justifier leur présence dans le monde. Il y a ce vieil homme de Fimela qui offre sa fille de 16 ans en mariage pour effacer une dette contractée. La tragédie de Sankèle qui tient au fait d’être née dans un système où l’impunité de son père était garantie, quelle que soit la violence de ses actes.
L’histoire se déroule probablement entre les années 1970 et 1990, mais malheureusement, aujourd’hui encore — et au moment où vous lisez cette phrase — ces histoires sont celles de nombreuses femmes sur le continent africain. J’y ai d’ailleurs trouvé beaucoup de similitudes avec Les impatientes de Djaïli Amadou Amal. Two different countries, same type of sh*t.
La place qu’occupe le football dans la vie des jeunes Niodiorois montre à quel point ce sport a réussi à se faufiler dans tous les recoins de la planète. Ils le perçoivent comme la voie par excellence vers la richesse et la célébrité dont ils rêvent tant. L’histoire de Moussa illustre combien ce chemin peut être semé d’embûches, mais reste un moyen de dissuasion insuffisant pour nos jeunes insulaires. Le football est aussi présenté comme un moyen, pour les pays du tiers-monde, de se mesurer aux grandes puissances occidentales, et les victoires sur celles-ci sont une immense source de fierté. N’étant pas une grande fan, le simple fait de savoir qui est Maldini, et que le Sénégal a battu la Suède en Coupe du monde 2002 pour se qualifier en quarts de finale, c’est magnifique. Entre le suspense et le désespoir, puis la joie et les célébrations, des matchs comme celui-là laissent une trace dans l’imaginaire collectif de générations entières.
S’agissant de mémoire collective, le livre regorge de références à de grandes figures de la culture sénégalaise : Mariama Bâ, Ousmane Sembène, Youssou N’Dour, Yandé Codou Sène, Doudou Ndiaye… Je ne les connaissais pas toutes, bien sûr, mais j’imagine que, pour un sénégalais, les reconnaître au fil des pages doit être assez réjouissant. Peut-être le sentiment que je ressens en lisant Mongo Beti, plongée dans ma culture et avec des références qui m’évoquent énormément de souvenirs.
Il y a énormément de sujets abordés dans le livre, mais aussi une multitude de personnages secondaires qui nous guident eux aussi à travers l’histoire. J’avoue m’être perdue quelques fois, oubliant le fil conducteur principal du récit et, le style d’écriture de l’autrice est loin d’avoir été mon sauveur dans cette confusion.
Sa plume est très belle. Le choix des mots, expressions et références est très juste, mais aussi très chargé. Le message de fond se laisse parfois noyer dans toutes ces références, mais le tout est fait très judicieusement. J’accorde une mention spéciale à tout le champ lexical de l’océan et la symbolique de l’Atlantique qu’elle utilise tout le long du livre. Un vrai travail d’artiste !
Bref, il faudrait lire le livre pour vous faire votre propre avis. Je finis par le recommander à toute personne qui voudrait comprendre les réalités complexes de l’immigration et de l’émigration.